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Iter fait un pas de plus vers la fusion nucléaire

Le réacteur expérimental West, à Cadarache, a produit son premier plasma le mois dernier. Le bon déroulé de l'expérience valide le choix du tungstène pour le futur Iter.

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Par Yann Verdo

Publié le 16 janv. 2017 à 01:01

Mauvaises surprises et bonnes nouvelles alternent au sujet d'Iter, ce réacteur thermonucléaire expérimental actuellement en construction près de Cadarache (Bouches-du-Rhône). En mai dernier, l'ancien patron du CEA Bernard Bigot, qui avait succédé début 2015 au Japonais Osamu Motojima aux commandes du consortium international (Europe, Chine, Inde, Japon, Russie, Etats-Unis et Corée du Sud) chargé du projet, annonçait que celui-ci allait nécessiter une rallonge de 4 milliards d'euros - portant le budget total à 19 milliards -, l'objectif d'une première « mise à feu » étant une nouvelle fois reporté, à l'horizon 2025. Mais, le mois dernier, la réussite d'une expérience cruciale conduite sur un « modèle réduit » d'Iter, le miniréacteur thermonucléaire du CEA appelé « West », a refait souffler un vent d'optimisme chez les concepteurs et les responsables du projet. Avec la production par West de son premier « plasma », affirment-ils, Iter vient de franchir une étape importante sur le long chemin qui doit permettre à l'humanité de maîtriser la fusion nucléaire.

Quatrième état de la matière, au-delà de la forme gazeuse, le plasma est obtenu quand on chauffe un gaz à plusieurs millions de degrés; c'est une sorte de « soupe » brûlante dans laquelle noyaux atomiques (de charge électrique positive) et électrons (de charge négative) ne sont plus liés ensemble et circulent librement. C'est exactement ce qui se passe au coeur du Soleil, là où les conditions de température (15 millions de degrés) et de pression (250 milliards d'atmosphères) sont si extrêmes que les noyaux d'hydrogène fusionnent entre eux pour créer des noyaux d'hélium, libérant au passage une quantité phénoménale d'énergie.

Le choix du tungstène

Pour obtenir cet état critique - le seul dans lequel peuvent se produire les réactions de fusion transformant l'hydrogène en hélium -, les scientifiques utilisent un réacteur expérimental appelé « tokamak » (lire ci-contre), dont l'un des éléments est un ensemble de puissants aimants supraconducteurs créant, à l'intérieur de l'enceinte en forme d'anneau, d'intenses champs magnétiques. Ceux-ci sont destinés à maintenir le plasma - soupe de particules électriquement chargées, et donc sensibles à un champ magnétique - loin des parois denses et froides de l'enceinte, qui, si elles entraient en contact avec lui, le feraient instantanément disparaître.

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Dernier tokamak mis en service dans le monde, West a produit son premier plasma le 14 décembre dernier. Lui aussi basé à Cadarache, sur le site du CEA, West est la résultante du réaménagement complet d'un précédent tokamak, Tore Supra. Les travaux qui ont abouti à la transformation de Tore Supra en West ont consisté à remplacer tous les composants exposés au plasma, donc à l'intérieur de la chambre à vide. « Naguère en fibres de carbone, ces composants posaient problème car le plasma érodait leurs parois, engendrant des poussières d'hydrogène et de carbone indésirables », explique Alain Bécoulet, directeur de l'Institut de recherche sur la fusion par confinement magnétique (IRFM). Comme nouveau matériau, le choix des scientifiques s'est porté sur le métal, moins susceptible de réagir avec l'hydrogène en fusion. Et, de tous les métaux, c'est le tungstène, le plus réfractaire à la chaleur, qui a été retenu. Le « W » de West correspond d'ailleurs au symbole chimique du tungstène.

Le premier plasma obtenu sur West a montré que les composants en tungstène tenaient le coup. Ce qui n'avait rien de très évident sur le papier. Il faut savoir que le plus important d'entre eux, appelé « divertor », qui coûte à lui seul entre 300 et 400 millions d'euros, reçoit une puissance thermique de quelque 10 à 20 millions de watts au mètre carré ! Posé sur le plancher de la chambre à vide, c'est en effet vers lui que l'essentiel de la puissance thermique engendrée par le plasma est dirigée et évacuée.

Plus largement, la mission de Tore Supra, poursuivie par West, consiste, depuis sa mise en service en 1988, à tester les technologies qui serviront à bâtir Iter. C'est par exemple sur Tore Supra qu'il a été démontré qu'il était possible de maintenir au centre du tube en forme d'anneau les particules ionisées (ayant une charge électrique) grâce à des bobines magnétiques supraconductrices. Un autre sous-système clef du futur Iter est celui de chauffage. Contrairement à un réacteur nucléaire classique, reposant sur la fission et non sur la fusion des atomes, un tokamak n'est pas un générateur, mais un amplificateur d'énergie. On doit chauffer en continu le plasma - donc lui apporter en continu de l'énergie - pour que les réactions de fusion s'enclenchent et perdurent en son sein, produisant à leur tour de l'énergie. Pour Iter, les concepteurs visent un facteur d'amplification de 10 : moyennant un apport équivalant à 50 mégawatts, Iter devra en dégager 500. « Grâce au nouveau divertor en tungstène, qui est très modulaire, différents systèmes de chauffage pourront être testés », indique Alain Bécoulet.

Troisième sous-système, celui de refroidissement. Etant donné la colossale quantité de chaleur dégagée par un plasma de fusion, tous les « composants face au plasma », comme disent les expérimentateurs, doivent être refroidis avec de l'eau à 100 °C sous pression. Là encore, Tore Supra avait pu démontrer la faisabilité de ce refroidissement.

Mais les tests vont se poursuivre encore pendant quelque temps, sur West et d'autres tokamaks. « En 2017-2018, West va servir à valider le design détaillé d'Iter, sélectionner les fabricants des différents composants et sous-systèmes, leur fournir des spécifications précises et, in fine, leur donner le feu vert pour la fabrication, raconte Alain Bécoulet. L'idée générale est de faire gagner du temps à Iter. Quand celui-ci commencera ses propres tests, il disposera non seulement de composants face au plasma déjà éprouvés, à commencer par le divertor, mais aussi de tout le savoir-faire allant avec, que nous aurons amassé au fil de nos propres expériences sur West. »

Selon le nouveau calendrier fixé par Bernard Bigot, Iter produira son premier plasma en 2025. Mais le tokamak ne délivrera pas sa pleine puissance - c'est-à-dire ce facteur d'amplification de 10 visé par ses concepteurs - avant 2035. Encore Iter n'est-il lui-même qu'un réacteur expérimental, qui devrait être suivi d'un autre, Demo, plus proche d'un réacteur de production. La route menant au coeur des étoiles est encore longue.

Lexique

Deutérium Un isotope naturel de l'hydrogène; il peut être facilement extrait de l'eau de mer.Facteur d'amplification Un réacteur à fusion est un amplificateur d'énergie : son plasma doit être chauffé pour produire de l'énergie. Le rapport de l'énergie produite sur l'énergie apportée est le facteur d'amplification.Isotope Un élément chimique est un isotope d'un élément de référence si son noyau possède autant de protons que lui. Seul le nombre de neutrons varie.Plasma C'est le quatrième état de la matière, après les états solide, liquide et gazeux. Un plasma s'obtient en chauffant du gaz. La température au coeur du plasma oscille entre 150 et 200 millions de degrés.Tokamak Un tokamak est un réacteur expérimental en forme d'anneau (ou tore) permettant de créer et de confiner un plasma de fusion grâce à des champs magnétiques intenses créés par de puissants aimants supraconducteurs.Tritium Autre isotope de l'hydrogène, mais radioactif et n'existant qu'à l'état de traces infimes dans la nature.

Yann Verdo

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