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Nature & environnement

D'ici 2050, 50 à 700 millions de personnes pourraient être forcées de migrer à cause... de l'état "critique" des sols

La détérioration des sols de la planète et la diminution de leur productivité des sols rend les sociétés plus vulnérables à l'instabilité sociale explique une étude.

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La déforestation fait partie des causes de la dégradation des sols

© CARL DE SOUZA / AFP
Les sols sont dans un état critique. C'est le constat alarmant publié dans une vaste étude, le lundi 26 mars 2018, à l'issu de la 6ème session plénière de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qui avait lieu du 17 au 24 mars 2018 en Colombie, à Medellín. Ce rapport qui a demandé 3 ans de travail a impliqué pas moins de 3.000 scientifiques, gouvernements, indigènes et populations locales. Leurs observations, données et témoignages ont été décortiqués par une centaine de chercheurs venus de 45 pays différents, puis été regroupés dans un rapport d'un millier de pages. Il s'agit de la première étude mondiale sur l'état des sols. Et son constat est alarmant.

Une situation source de conflits

Les sols perdent en qualité lorsqu'ils sont surexploités ou mal exploités. Les terres cultivables deviennent de moins en moins nombreuses sur la surface de la planète et cela va entrainer, de manière croissante, les populations à se déplacer.  "D'ici 2050, cette dégradation conjuguée aux problèmes de changement climatique, qui y sont étroitement liés, va contraindre 50 à 700 millions de personnes à migrer", précise les chercheurs.
 
Selon l'étude, les projections les plus optimistes (50 millions de personnes obligées de se déplacer pour trouver une meilleure qualité de sols), seront atteintes même si tout est mis en place pour réduire notre impact et minimiser le changement climatique. Le rapport souligne également que "la diminution de productivité des sols rend les sociétés plus vulnérables à l'instabilité sociale, en particulier dans les régions sèches, où des années de très faibles précipitations ont été associées à une hausse des conflits violents allant jusqu'à 45%". La dégradation des sols serait donc source de guerre.
 

87% des zones humides perdues

 
Dans certaines régions du monde, les sols ne remplissent plus leur rôle de filtration de l'eau, de stockage de carbone ou encore de fertilisants. Plusieurs raisons viennent expliquer cette situation comme le déclin de la biodiversité et la déforestation. Un quart des terres échappent aujourd'hui au phénomène. Ce chiffre tombera à 10% en 2050. L'IPBES a aussi souligné que 4/5ème de la population mondiale vit dans des zones menacées par le manque d'eau. "Nous avons transformé une grande partie de nos forêts, de nos prairies, nous avons perdu 87% de nos zones humides (...) Nous avons vraiment changé la surface terrestre", a déploré M. Watson, président de l'IPBES. "Les forêts tropicales ont été historiquement peu peuplées parce qu'il était difficile d'y pénétrer. Aujourd'hui, nous y construisons des routes, nous y introduisons de l'agriculture", a précisé à l'AFP Robert Scholes, l'un des co-auteurs du rapport.
 
Les effets de cet état critique des sols se font déjà ressentir puisqu'ils constituent la première cause de disparition des espèces animales et végétales. Vendredi 23 mars 2018, l'IPBES avait d'ailleurs rendu un verdict inquiétant sur la biodiversité de la planète, menacée, selon elle, par la première extinction massive des espèces depuis celle des dinosaures et la première provoquée par les humains.

Cercle vicieux

La dégradation des sols affecte dores et déjà le bien-être de plus de 3,2 milliards d'hommes et de femmes. En effet, la détérioration des terres s'accompagne de l'altération de la sécurité alimentaire et de la santé des êtres humains. La dégradation des sols participe aussi à l'aggravation du changement climatique. Ainsi, la déforestation et la diminution de la capacité des sols à stocker le carbone responsables du changement climatique participent à l'effet de serre. Un véritable cercle vicieux qui affecte également les animaux et les plantes. La perte en biodiversité devrait être de 38 à 46% d'ici 2050. "La dégradation des sols, la perte de biodiversité et le changement climatique sont trois facettes du même important défi : l'impact de plus en plus dangereux de nos choix sur notre environnement naturel", a déclaré Robert Watson. Il faut comprendre que l'avenir des terres va définir l'avenir de l'humanité.
 
Pour les chercheurs, l'agriculture intensive est un facteur important de cette détérioration des sols. L'étude de l'IPBES met ainsi en lumière la consommation trop importante des pays développés et celle de plus en plus conséquente des pays en développement. Tout cela alors que la population mondiale augmente toujours plus. Mais d’autres facteurs ont également leur part de responsabilité, comme l’exploitation forestière, l’extraction minière et pétrolière, ou encore l’urbanisation excessive et incontrôlée.

Des solutions toujours possibles

Les chercheurs ont également proposé des mesures pour limiter les dégâts, avant qu'il ne soit trop tard. Ainsi, ils ont souligné que la restauration des sols rapporterait 10 fois plus de bénéfices que ce que leur dégradation coûte actuellement. Pour des régions comme l'Afrique ou l'Asie, le coût de l'inaction face à la dégradation des sols est au moins 3 fois supérieur au prix de l'action. Les chercheurs ont également insisté sur la nécessité de coordonner les actions internationales, nationales et individuelles, aujourd'hui fragmentées.
 
Les scientifiques ont proposé de ré-inonder les marais asséchés et de stopper à la source la pollution de l'eau par les exploitations minières, l'agriculture et l'industrie. Dans les villes, le rapport recommande des "infrastructures vertes" telles que des parcs, la réintroduction d'espèces natives de plantes, le traitement des eaux usées et la réhabilitation des rivières. 
 
Mais c'est l'agriculture qui a un rôle majeur à jouer. Il faudrait changer plusieurs méthodes. Ainsi labourer la terre peut la rendre vulnérable à l'érosion et libérer le carbone qu'elle a capté, aggravant le réchauffement climatique. On a longtemps pensé que cette technique servait à aérer les sols, mais aujourd'hui on sait qu'elle détruit toute la biodiversité contenue dans la terre. Toujours sur le plan de l'agriculture, les engrais subventionnés coûtent très peu aux agriculteurs. Ils sont donc poussés à les utiliser. L'IPBES recommande de remplacer ce qu'ils jugent être des "incitations perverses, qui favorisent la dégradation des sols", par des mesures positives de gestion durable. Un meilleur étiquetage est également préconisé par les chercheurs. Ils souhaitent ainsi laisser le choix aux consommateurs d'acheter des produits avec un impact plus ou moins négatif sur la planète.
 
Enfin, pour l'IPBES, les gouvernements devraient prendre en compte la protection de la planète dans leurs décisions et les coordonner, cesser de fragmenter agriculture et environnement d'un côté, économie, énergie, infrastructures de l'autre. En soit, ne plus isoler le thème de l'environnement. Les experts insistent également pour une vision concertée aux niveaux international, national et individuel, en incluant les communautés indigènes et locales.

Robert Watson l'affirme : "la mise en place d'actions pour lutter contre la dégradation des sols peut transformer la vie de millions de personnes à travers le monde. Mais plus nous attendons, plus cela deviendra cher et difficile à réaliser".

La Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a été créée en 2012 sous la tutelle des Nations Unies. Elle compte aujourd'hui 129 États membres. Cette plateforme a pour objectif d’éclairer les gouvernements et l’opinion publique sur les enjeux liés aux changements de la biodiversité. Les chercheurs de l'IPBES réalisent pour cela une synthèse régulière des connaissances scientifiques.

 

 
 
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