Un échantillon d’excrément daté du 12 mars 2019 a été détecté positif au coronavirus SARS-CoV-2. Mais ce résultat ne constitue pas une preuve, car il présente une incohérence et une large marge d’erreur.

En mai 2020, les épidémiologistes mettaient au jour des preuves d’une circulation du coronavirus SARS-CoV-2 en décembre 2019, un peu plus tôt qu’on le pensait à l’origine. Le pathogène circulait finalement en France dès le début du mois de décembre. D’autres pistes de recherche évoquent quant à elles une émergence du coronavirus en Chine dès septembre 2019, mais cette théorie n’a pas encore été vraiment attestée.

En cette fin juin 2020, des scientifiques de l’université de Barcelone ont publié leur étude dont les conclusions mettent en avant des traces du coronavirus SARS-CoV-2 dans des échantillons d’eau d’égout datés de mars 2019. Si l’on en croit de tels résultats, cela signifierait que le pathogène à l’origine de la maladie Covid-19 était présent dès l’hiver 2019. De tels résultats sont-ils vraiment crédibles ? Quelles sont les limites de leur interprétation ?

L'étude d'échantillons de différents coronavirus permet de retracer une chaîne évolutive ayant mené à SARS-CoV-2. // Source : PxHere

L'étude d'échantillons de différents coronavirus permet de retracer une chaîne évolutive ayant mené à SARS-CoV-2.

Source : PxHere

Le premier indice sur la nécessaire prudence à adopter vis-à-vis de cette étude est le suivant : elle a pour l’instant été publiée sur le site Medrxiv, qui héberge exclusivement des papiers de recherche qui n’ont pas été relus par les pairs. L’étude de ces scientifiques espagnols n’est donc pas encore validée par un comité de lecture indépendant. Et ce n’est pas la seule raison qui doit appeler aux énormes pincettes.

Une incohérence épidémiologique

Comme on le sait depuis maintenant quelque temps, le coronavirus laisse des traces ARN dans les excréments de personnes contaminées. Ces résidus de virus ne sont plus actifs, mais restent partiellement présents. Il perdure un bout de leur code génétique, en somme. Pour retracer les origines de SARS-CoV-2, les épidémiologistes espagnols à l’origine de cette étude se sont penchés sur des échantillons congelés des eaux usées de Barcelone. Ces échantillons vont de janvier 2018 à décembre 2019. Le test PCR a révélé des résultats positifs au coronavirus pour l’échantillon daté du 12 mars 2019 — et seulement pour cette date, avant la fin 2019.

Ce test ne suffit toutefois pas à constituer une preuve absolue à lui seul. Il y a d’abord une incohérence dans le timing des données : étant donné l’infectiosité de ce coronavirus, s’il avait été présent dès mars 2020 dans une ville comme Barcelone, il paraît étonnant qu’il n’ait pas déclenché une recrudescence significative de maladies respiratoires. « Il est néanmoins possible que des situations similaires aient pu se produire dans plusieurs autres parties du monde, avec la circulation de cas COVID-19 inaperçus dans la communauté », argumentent pour autant les auteurs dans leur étude.

Cette approche ne satisfait pas la virologue Claire Crossan. Dans un papier publié le 28 juin 2020, elle pointe les insuffisances de l’étude. « Les auteurs ne citent aucun rapport d’un pic du nombre de maladies respiratoires dans la population locale après la date de l’échantillon », relève-t-elle par exemple. Et, après lecture de ladite étude téléchargée sur Medrxiv, il faut bien admettre que le résultat n’est étayé par aucun élément particulier autre qu’un seul test PCR positif sur cette seule date. Le propos reste très, et donc trop, succinct. Pourtant, en plus de données épidémiologiques qui ne valident pas la présence du coronavirus à cette époque, le processus d’un test PCR peut être soumis dans ce contexte à une marge d’erreur.

L’échantillon pourrait avoir été contaminé

Ces tests fonctionnent par une amplification en chaîne du génome échantillonné. La séquence génétique est amplifiée au fil d’une série de cycles jusqu’à détecter une correspondance ou non. Il n’est pas impossible que la séquence ADN obtenue lors de l’amplification soit devenue suffisamment proche du gène viral recherché, sans être véritablement celui-ci en réalité. Une autre possibilité serait la contamination de l’échantillon par le SARS-CoV-2. « Cela advient parfois dans les laboratoires où des échantillons positifs sont régulièrement gérés, et cela peut être difficile d’éviter que de très petites traces d’échantillon positif contaminent les autres », relève Claire Crossan dans son papier. Ce serait alors, dans ces deux cas, un faux positif.

La présence du coronavirus SARS-CoV-2 dès mars 2020 en Europe n’est évidemment pas à exclure totalement. Si cela se confirmait, l’histoire épidémiologique du pathogène serait à revoir : qu’il n’ait pas été détecté plus tôt pourrait s’expliquer par une mutation — mais très faible, pour que le code génétique reste similaire. Il faut donc surtout retenir que beaucoup d’incertitudes entourent cette étude, d’autant plus qu’il n’est question que d’un seul échantillon, produit par une seule étude, ne produisant un résultat positif que pour un seul jour avant le mois fatidique de décembre. En l’absence d’autres résultats similaires et de données épidémiologiques cohérentes, ce résultat ne doit pas pour l’instant être traité à l’affirmative comme un fait établi, au contraire.


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