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Casse sociale, explosion des émissions carbone et dépendance à l'Allemagne : l’addition salée de la fermeture de Fessenheim
"La fermeture de Fessenheim va entraîner 6 à 10 millions de tonnes équivalent CO2 rejetées par an, en plus"

Casse sociale, explosion des émissions carbone et dépendance à l'Allemagne : l’addition salée de la fermeture de Fessenheim

Nucléaire

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Lundi 29 juin, Fessenheim, la plus vieille centrale nucléaire française s'est arrêtée de fonctionner. Si les "écologistes" s'en réjouissent, les salariés et les élus locaux sont amer et dénoncent une catastrophe économique, sociale et environnementale.

Depuis 2011, plusieurs sentiments ont traversé les salariés d'EDF. Il y a d'abord eu de l'incompréhension. Pourquoi Fessenheim ? De la colère ensuite. Quel intérêt de fermer une centrale nucléaire avant d'avoir un moyen plus propre qui soit équivalent en terme de production ? Et puis, un mélange de tristesse, d'inquiétudes et d'amertume. Que va-t-on devenir désormais ? Onze ans après la promesse de campagne de François Hollande, selon laquelle Fessenheim devait fermer pour réduire la part d'énergie nucléaire, la doyenne des centrales nucléaires françaises a cessé de produire de l'électricité. Le résultat ? Plusieurs centaines de salariés (690 sur 750) doivent à terme changer de lieu d'activité, se déraciner eux et leur famille. Plusieurs milliers d'autres, que la centrale faisait travailler par réflexion, risquent de disparaître.

D'aucuns diront alors qu'il s'agit d'une bonne décision pour la planète. Pas vraiment. N'ayant pas assez de sources de production d'énergies renouvelables à l'heure actuelle, la France va devoir davantage se tourner vers ses sources de productions dites "sûres", notamment en hiver, comme le gaz et le charbon, mais aussi vers son voisin allemand. Juste de l'autre côté du Rhin, presque en face de Fessenheim, vient de s'ouvrir… une centrale à charbon (beaucoup plus polluante que le nucléaire de Fessenheim) censée, entre autres, alimenter l'Alsace désormais en mal l'électricité. S'ajoute pour les salariés d'EDF, un autre sentiment. Celui d'avoir été victime de démagogie.

Près de 5.000 personnes sur le carreau

Anne Laszlo se dit être de ceux-là. "Les gouvernements successifs sous Hollande, puis Macron, ont voulu fermer la centrale par pure stratégie politique. Mais derrière il n'y a absolument aucun intérêt porté aux impacts socio-économiques engendrés", opine la déléguée syndicale CFE énergies. Pourtant l'arrêt de Fessenheim s'apprête à générer une véritable casse sociale. Déjà, le 22 février dernier, l'arrêt du premier réacteur de la centrale avait provoqué une vague de départs, laissant des bleus de travail inutilisés et des places de parking vides sur le parvis. "On était 750 employés EDF, aujourd'hui on est 620", souligne la syndicaliste. "Dans un an on sera 370 et dans cinq, plus que 60 pour aider au démentèlement", poursuit-elle. Très qualifiés dans leur domaine, une écrasante majorité des employés de Fessenheim se voient proposer des postes par EDF parmi les dix-neuf autres centrales que compte la France. Il faut donc partir dans un autre département, une autre région. Il faut bien souvent aussi vendre la maison, changer les enfants d'école et dire au revoir. Et puis, il y a ceux aussi qui ne veulent et ne peuvent pas partir pour travaille ailleurs. Ceux dont l'ancrage familial est à Fessenheim et alentours. Ceux qui, par exemple, ont des parents vieillissants sur lesquels il faut veiller.

A ces emplois perdus, il faut ajouter ceux des prestataires de Fessenheim, comme les agents d'entretien. Ceux, aussi, des commerces alentours qui fonctionnent en grande partie grâce à l'activité de la centrale. Sans oublier les emplois sacrifiés des conjoints des employés d'EDF, qui bien souvent quitteront la région en famille. Comme le relevait le journaliste Gérald Andrieu - par ailleurs directeur adjoint de la rédaction de Marianne -, dans son ouvrage Le peuple de la frontière (publié en 2017 aux éditions du Cerf), au regard des résultats d'un rapport de l'agence Syndex, 5.200 personnes seraient à terme touchées. "Ce qui est effroyable, c'est que l'impact socio-économique de la fermeture va être très sournois", affirme Raphaël Schellenberger, député LR du Haut-Rhin. "Comme on enlève l'outil économique structurant du territoire, toutes les autres entreprises vont se dévitaliser petit à petit. On en verra les effets seulement dans quelques années".

Voir sa commune se vider, se désertifier, jusqu'à s'éteindre comme la centrale, c'est la grande crainte de Claude Bender, le maire fraichement réélu de Fessenheim. "On nous enlève notre poumon économique sans solutions pérennes pour l'emploi derrière", souffle-t-il, lassé des promesses non tenues de l'Etat. Aux dernières nouvelles, EDF voulait y implanter un technocentre pour le traitement des déchets radioactifs. "Même si cette énième solution voit le jour, elle ne pourra pas être effective avant une dizaine d'années", regrette Claude Bender. "Ils ont fermé sans rien prévoir", s'agace l'élu. "Il y aura donc forcément un énorme trou d'air sur le bassin d'emploi de la collectivité territoriale".

Multiplication des émissions de CO2

A la casse sociale s'ajoute une catastrophe écologique. Alors que les membres des gouvernements successifs et autres anti-nucléaires justifient la fermeté de la décision par l'urgence climatique, la fermeture de Fessenheim s'apprête �� faire grimper le bilan carbone de la France.

Maxence Cordier, ingénieur en énergie, a même déjà chiffré ce surcroît d'émissions de gaz à effet de serre. "Ça va être de l'ordre de 6 à 10 millions de tonnes équivalent CO2 par an rejetées en plus". Jusqu'ici, Fessenheim contribuait à produire 70% de l'électricité de la région Alsace (pour 2 millions d'habitants). Pour ce qui est des 30% restants, ils étaient fournis par un mixte d'énergies renouvelables, de centrale à charbon et de gaz. Or, Fessenheim arrêtée, l'Alsace va désormais devoir avoir davantage recours aux centrales à gaz et charbon, plus polluantes, notamment parce que le territoire ne dispose pas d'assez de d'éoliennes et de panneaux photovoltaïque.

En clair, "ce que Fessenheim ne produira plus ce sont les autres énergies fossiles qui vont les produire" explique l'ingénieur. "Et elles sont plus polluantes". La production d'électricité via le nucléaire est en réalité peu carbonée. D'après l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), elle émet 6 grammes d'équivalent CO2 par kilowatt/heure (kWh). Pour les centrales à gaz, c'est de l'ordre de 500 grammes d'équivalent CO2/kWh et 1.000 grammes d'équivalent CO2/kWh pour celles au charbon. Quid des déchets nucléaires ? "Les rejets émis par les centrales à charbon et à gaz sont plus polluants d'un point de vue climatique et sanitaire que le nucléaire" souligne l'ingénieur. "Car les déchets nucléaires sont traités, sécurisés et ne rejettent pas de CO2 dans l'atmosphère. C'est plutôt la construction et l'entretien des centrales qui polluent, tout comme l'est le cycle de fabrication d'éoliennes ou de panneaux solaires par ailleurs".

Un résultat qui exaspère le maire de Fenssenheim, Claude Bender pour qui la France "saborde" son industrie et perd encore une fois, un peu plus de souveraineté. "Jusqu'ici on était largement exportateur d'électricité, notamment vers l'Allemagne", assure-t-il. "Demain nous serons dépendant d'eux!" Et pour cause : de l'autre côté du Rhin, une centrale à charbon vient d'ouvrir ses portes il y a tout juste un mois. Prévue depuis 2007 Datteln 4 (centrale à charbon allemande dernière génération), va bien contribuer au mix énergétique de l'Alsace. "Je peux vous dire que les employés de la centrale sont extrêmement amers face à la situation", indique Anne Laszlo. "Cela montre bien l'incohérence de la politique énergétique française et plus globalement européenne". Maintenant que la salle des machines ne "ronronne" définitivement plus à Fessenheim, employés et élus locaux espèrent un débat plus apaisé et pragmatique dans les années à venir. D'ici à 2035, Emmanuel Macron avait promis à l'automne 2018 de mettre à l'arrêt 12 réacteurs parmi les plus anciens sites de l'Hexagone comme Bugey ou encore Gravelines.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne