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Cet ensemble de textes a été conçu à la demande de lecteurs de la revue en ligne Automates-Intelligents souhaitant disposer de quelques repères pour mieux appréhender le domaine de ce que l’on nomme de plus en plus souvent les "sciences de la complexité"... lire la suite

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27 avril 2013 6 27 /04 /avril /2013 16:28


Jean-Paul Baquiast 27/04/2013



Introduction

Le dernier ouvrage de Ramez Naam, The Infinite Resource: The Power of Ideas on a Finite Planet, University Press of New England (9 avril 2013) présente d'une façon très claire les choix que attendent l'humanité dès cette décennie: ou bien continuer à consommer et produire comme actuellement (business as usual) ou bien réformer radicalement, notamment par l'investissement scientifique, les comportements collectifs. Dans ce livre, l'auteur, expert informatique et économiste, a consulté et discuté très largement les différents travaux de ceux qui se préoccupent de l'avenir du monde. Nul n'est obligé de partager d'emblée ses idées. Certains lui reprochent d'être financé par la Fondation Bill Gates. Il reste que les problématiques évoquées, bien que déjà très largement exposées ailleurs par d'autres auteurs, n'ont toujours pas provoqué de changements sensibles dans les politiques mondiales.

Nous pensons pour notre part qu'au sein d'une Europe où les citoyens semblent s'estimer incapables d'agir sur des phénomènes dépassant croient-ils leurs capacités d'influence dans le monde, ce livre démontre au contraire que des marges de manoeuvre considérables existent, non seulement en Europe mais, pour ce qui nous concerne, en France même.

Malheureusement dans ce pays, un gouvernement se disant socialiste et interventionniste, répudiant donc en principe le libéralisme sauvage, n'a pas encore présenté aux citoyens des programmes d'investissements capables à la fois de relancer l'emploi et la croissance tout en évitant de contribuer à l'épuisement des biens communs. Nous proposons donc dans cet article, en nous appuyant sur les points forts du livre de Ramez Naam,(notamment dans la première partie) ce qui pourrait être une stratégie européenne en ce sens. A l'occasion nous feront allusion aux atouts sur lesquels la France pourrait s'appuyer pour jouer tout son rôle dans une telle politique.

Première partie. Les problèmes à résoudre

Ceux-ci sont bien connus, mais il faut les rappeler, ne fut-ce que pour contribuer à les faire mieux prendre au sérieux par des opinions préoccupées par des intérêts plus immédiats.

Comment nourrir les populations mondiales

L'humanité a converti environ un tiers des surfaces terrestres globales en vue de la production de nourriture. Les deux autres tiers sont constitués de déserts ou de montagnes inutilisables. Ce faisant, elle a multiplié les problèmes environnementaux, du fait des rejets d'engrais et de pesticides. L'agriculture consomme par ailleurs 70% des réserves d'eau douce, ressource dorénavant devenue partout rare.

Ceci n'empêche pas que la production agricole diminue globalement, les prix s'élevant, alors que la demande alimentaire ne cesse d'augmenter: en quantité dans les pays pauvres, en qualité dans les pays émergents. Selon la FAO, la planète devrait produire vers 2050 70% de nourriture en plus qu'aujourd'hui pour nourrir aux standards actuels la population de l'époque, à supposer que celle-ci se stabilise à quelques 10 milliards de personnes. A défaut, la disette reprendra, générant des troubles divers.

Arrêter la déforestation

La moitié des forêts primaires de la Terre a été détruite par les humains, afin d'y produire de la nourriture. Chaque année, à peu près la superficie de la Louisiane disparaît, principalement sous les tropiques. Ces forêts primaires sont pourtant le poumon de la Terre et un havre inestimable pour la biodiversité. Par ailleurs, elles maintiennent les sols en place. Grâce à l'évotranspiration, elles permettent aux pluies d'irriguer les sols sous leur vent. Elles produisent 20% de l'oxygène et 30% de l'eau douce terrestres. Il est donc irresponsable de continuer à les détruire.

Sauver l'eau douce


L'agriculture est le principal facteur mettant en péril les réserves d'eau douce. 70% des réserves disponibles servent à l'irrigation, principalement dans les pays développés. Pour y accéder, les rivières, les lacs et les aquifères sont de plus en plus asséchés. L'état actuel de la Mer d'Aral, jadis première réserve d'eau douce terrestre, illustre ceci d'une façon spectaculaire, mais qui n'est en rien une caricature. En Amérique du Nord, l'aquifère géant de l'Ogalla est en train de subir le même sort, sous l'effet des pompages excessifs. Il en est de même d'autres aquifères sous la vallée de l'Indus, en Chine. au Mexique ou en Iran.

Les grands fleuves souffrent de même d'une irrigation excessive, notamment en saison sèche: le Fleuve Jaune, le Nil, l'Indus le Rio Grande et le Colorado. Les estuaires reculent devant l'eau salée et les bancs de sable marins.

Arrêter la surpêche océanique

Le poisson constitue une source irremplaçable de protéines pour les pays pauvres. La survie d'un milliard de personnes en dépend. Le poisson pourrait être considéré comme une ressource renouvelable, s'il n'étais pas exploité à outrance, ceci jusqu'à épuisement de très nombreuses espèces.

Aujourd'hui plus d'un tiers de toutes les espèces océaniques ont vu leurs populations s'effondrer. Toutes les autres sont virtuellement surexploitées ou exploitées jusqu'aux limites. Si la pêche continue sans changements, la FAO estime que les pêcheries mondiales deviendront improductives vers 2050.

Faire face au changement climatique

Il s'agit du problème de fond, qui sous-tend tous les autres. La planète se réchauffe. Même si une part de ce réchauffement provient éventuellement d'un processus cosmologique à très long terme, son accélération rapide aujourd'hui est due à l'augmentation récente des émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre. Cette augmentation à son tour découle de causes convergentes: utilisation en hausse continue des combustibles fossiles carbonés, déforestation, élevage...

La fonte de la calotte polaire arctique et de nombreux glaciers en résulte. Cette fonte accélère par effet en retour le réchauffement. Un océan arctique sans glaces estivales est aujourd'hui prévu par l'IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change) vers 2025-2030.

L'effet le plus spectaculaire de ce phénomène sera la montée des eaux océaniques, de 1 à 2 mètres à la fin du siècle. Cela menacera de submersion des dizaines de villes et zones industrielles du monde. Les protéger ou les déplacer entraînera des dépenses pharaoniques.

Le réchauffement provoquera de plus en plus, par ailleurs, des phénomènes climatiques extrêmes, sécheresses, inondations, tempêtes. Ceux-ci retentiront sur la production agricole et l'accès à l'eau douce. Des milliers ou dizaines de milliers de morts en découleront, comme en Russie en août 2010. Aux Etats-Unis l'ouragan Sandy combiné à la sécheresse du Middle west a causé $100 milliards de dommages.

Rappelons que par ailleurs l'augmentation de l'absorption de CO2 par les océans conduit à une destruction des massifs coralliens, essentiels pour la biodiversité dans les eaux tropicales.

Effets d'entrainement et points de non retour


Les divers phénomènes exposés ci-dessus s'entrainent les uns les autres, dans un rythme auto-accéléré. Ils risquent d'atteindre prochainement des points de non-retour (tipping points) à partir desquels le visage actuel de la planète pourrait être durablement changé. A ce moment aucune intervention humaine ne pourra modifier l'évolution. La Terre, planète liquide et de climat tempéré, favorable à la vie depuis son origine, pourrait devenir en quelques siècles, sinon décennies, une planète desséchée et sans vie telle que Mars. L'étude de cette dernière montre aujourd'hui qu'elle a perdu très rapidement, il y a 3 ou 4 milliards d'années, toutes conditions permettant la vie telle que nous la connaissons. La Terre constitue une exception dans le système solaire. Son caractère fragile ne devrait pas échapper aux humains qui dépendent d'elle pour survivre.

La place de l'Europe dans cette évolution

On considère généralement que l'Europe, par son climat tempéré et des siècles de vieille culture ayant permis de faire face aux difficultés naturelles, sera moins impliquée que les autres parties du monde dans l'accélération des difficultés ou catastrophes annoncées par les experts. Ce n'est pas inexact, dans le court terme. Mais le phénomène désormais inévitable de la mondialisation ne lui permettra pas de se transformer en forteresse à l'abri de frontières étanches. D'abord, les phénomènes climatiques ou océaniques l'atteindront comme partout ailleurs. Ensuite, les famines et autres crises de subsistance se produisant dans des régions déjà surpeuplées au regard des ressources actuelles entraineront nécessairement des migrations massives et probablement des guerres de défense des territoires dont les conséquences seront destructrices en termes de civilisation.

L'Europe, et la France en ce qui la concerne, n'ont pas d'autres solutions que mettre immédiatement au service de la lutte contre les phénomènes résumés ici l'ensemble de leurs ressources. Il s'agit de ressources technologiques, mais aussi de ressources en inventivité créatrice. Le devoir des gouvernements est de tout faire pour les mobiliser.

Ce sont ces perspectives qui vont être examinées dans la seconde partie de ce document.

Deuxième partie. Comment réagir

Face à la convergence des tensions ou ruptures entre besoins et ressources, telles que résumées dans la première partie, deux solutions sont généralement envisagées par ceux qui se préoccupent de ces questions. La première, très populaire dans certains milieux en Occident, mais clairement refusée par les pays émergents, consisterait à diminuer ce que l'on nomme la croissance. Ce terme trop vague signifierait réduire les consommations, à tous les niveaux: diminuer les dépenses alimentaires et les acquisitions de produits manufacturés, se déplacer moins, etc.

Il se trouve cependant que les politiques correspondantes, dites aussi décroissantistes, sont refusées systématiquement. D'abord dans les pays pauvres et chez les émergents, qui ne voient pas pourquoi refuser d'acquérir un niveau de vie dont les pays riches jouissent depuis longtemps et qu'ils refusent de partager. Ensuite dans ces pays riches eux-mêmes, dominés par ce qu'il faut bien appeler des oligarchies de possédants, qui s'accrocheront jusqu'au dernier moment à leurs privilèges.

Quant à la réduction de la croissance démographique, qui serait indispensable, elle ne relève pas d'une politique de décroissance. Il s'agit d'un processus très long qui semble principalement résulter de l'augmentation des niveaux de vie. Réduire ceux-ci risquerait de relancer la surnatalité dite de misère.

La seconde solution consisterait à augmenter l'offre. Mais nous avons vu que, en l'état des ressources disponibles, présentes et futures, cela ne serait pas possible. Ou plus exactement, cela ne serait possible que si l'ensemble des sociétés développées et émergentes s'engageait dans un effort systématique de recherche scientifique et technique, susceptible de générer de nouvelles productions, à partir de nouvelles ressources, inconnues à ce jour. C'est la thèse défendue par Ramez Naam.

Utopie dit-on? Pas du tout. Un tel programme a été présenté depuis une dizaine d'années par le mouvement des Singularistes. Il prolonge aujourd'hui en termes nouveaux l'ancien mouvement d'investissement industriel et scientifique qui avait fait la fortune de l'Occident (Europe et Amérique) à partir du milieu du 19e siècle. La science et la technique, convenablement dirigées, ont toujours été et demeureront le seul facteur sérieux de développement.

Aujourd'hui, pour des raisons complexes, une partie des Occidentaux rejettent la science et la technique, auxquelles ils imputent tous les maux sociétaux. Mais les Singularistes abordent la question de la science d'une nouvelle façon, susceptible de désarmer une partie des critiques qui lui sont faites en Occident. Pour eux, l'opinion publique n'a pas encore pris conscience d'un phénomène, déjà en cours depuis une vingtaine d'années, et qui, si tout se passait bien, révolutionnerait le 21e siècle. Il s'agit du développement exponentiel et convergent des principales technologies.

Cette expression signifie deux choses. D'une part ces technologies croissent à grande vitesse et de façon accélérée, illustrée par la Loi dite de Moore dans le domaine des composants électroniques. D'autre part la croissance d'une technologie bénéficie à toutes les autres, et réciproquement. Ainsi la généralisation des composants et nanocomposants électroniques permettra le développement de la biologie de synthèse qui à son tour permettra de relancer la mise en place d'agricultures résistant à la sécheresse.

Ceci ne se produit encore que de façon limitée, principalement dans des laboratoires. La grande idée, reprise par Ramez Naam, puis ici dans le présent texte, consisterait à convaincre les décideurs, notamment les décideurs politiques, du fait qu'encourager les recherches/développement (R/D) tous azimuts ferait progressivement disparaître les raretés actuelles et permettrait de nouvelles croissances qui n'épuiseraient pas les ressources de la Terre. Le résultat ne serait pas immédiat. Il demanderait selon les secteurs quelques années ou quelques décennies. Par ailleurs, il faudrait en payer le prix, c'est-à-dire investir fortement dans la R/D, en économisant sur les dépenses de consommation actuelles. Mais le succès pourrait être au bout du processus.

Pour en convenir, il faudrait abandonner, comme l'avait montré Ray Kurzweil il y a quelques années, la croyance au fait que le futur est prévisible par extrapolation du passé ou du présent. Le futur n'est pas prévisible en totalité. Des catastrophes restent toujours possible, tenant à de causes diverses. Mais des solutions heureuses jugées aujourd'hui irréalistes sont également à envisager.

Pour passer de ces généralités à des exemples concrets, il faut décrire quelques domaines où de nouvelles technologies, découlant de nouvelles recherches scientifiques, permettraient de changer le monde. On verra que ce ne seraient pas seulement les Etats-Unis ou la Chine qui pourraient investir dans ces directions, mais l'Europe et, en ce qui nous concerne, la France.

Les productions alimentaires

Démentant les prédictions des économistes malthusiens, tel Paul Erlich en 1968, la population mondiale a continué à croitre depuis cette date, grâce à l'augmentation des productions agricoles. Mais ceci s'est fait à un prix évoqué plus haut: destruction des forêts et des zones humides, pollutions chimiques, etc. Aujourd'hui la production moyenne par unité de surface ne peut augmenter encore à partir des moyens traditionnels. Pour sortir de cette impasse, il ne faut plus hésiter à modifier les capacités génétiques des plantes pour leur permettre de tirer un meilleur parti de la photosynthèse, exploiter des terrains pauvres et arides et produire elles-mêmes leurs propres fertiliseurs à partir de l'azote de l'air.

Les OGM (organismes génétiquement modifiés) suscitent un rejet dans certains pays, notamment en Europe. Mais cela tient au fait que ce sont des firmes privées, comme Monsanto, qui se sont appropriées ces techniques et en ont exclu les petits exploitants. Il faudrait au contraire que des laboratoires publics travaillent de façon ouverte à produire de nouvelles espèces et les mettre quasi gratuitement à la disposition des agriculteurs. Ceci ne pourrait cependant se faire que dans le cadre d'une véritable révolution politique, visant à faire de ces laboratoires de vrais services publics, comme c'est le cas en Europe dans certains domaines de la recherche médicale. Le coût des recherches serait alors financé par un impôt sur la consommation des nouveaux produits.

En matière de consommation de viande, il faudra certainement limiter le recours à l'élevage de boucherie traditionnel, dont les nuisances sont nombreuses et l'absence d'éthique paraîtra sans doute de plus en plus insupportable. Mais les techniques de production de tissus animaux in vitro pourront se développer de façon industrielle, à partir de protéines de synthèse, ceci pratiquement sans limites. Les produits obtenus seront de plus en plus comparables à la viande sur pied.

Il en sera de même en ce qui concerne les produits de la mer. L'élevage est aujourd'hui très critiqué, car les poissons produits le sont à partir de farines de poisson dont la production est tout aussi destructrice des milieux marins que la pêche destinée à la consommation humaine. De plus les fermes sont très polluantes. A l'avenir, il sera possible de mettre en place des fermes d'élevage en haute mer, s'inspirant de celles qui seront utilisées pour la production d'énergie marine. Les poissons seront nourris de protéines de synthèse.

Si toutes ces techniques étaient mises en oeuvre simultanément, à l'échelle du monde, on pourrait envisager, sans diminuer la production agricole totale, de réduire l'emprise de l'agriculture sur les terres arables, afin de rendre une partie de celle-ci à la vie sauvage, notamment à la forêt. La lutte contre la production des gaz à effet de serre et le réchauffement climatique serait la première à en bénéficier.

On voit que dans tous ces domaines, l'Europe et pour sa part la France, dont nous avons souligné les atouts en ce qui concerne l'agriculture ou l'accès à la mer, devraient jouer un rôle pilote pour la conduite des recherches et applications nécessaires. La France pour sa part, traditionnellement liée à l'Afrique en matière de coopération, pourrait jouer un rôle d'entrainement dont bénéficierait ce continent.

L'eau douce


L'eau douce ou potable ne représente que 3% de l'eau globalement présente sur la planète. Cette dernière est dans l'ensemble inutilisable car se présentant sous la forme de glaciers ou de banquises. Seuls 0,3 % de cette eau peut servir directement à l'irrigation et la boisson: 2% dans les rivières, 87% dans les lacs, 11% dans des zones marécageuses.

On a longtemps considéré, dans les pays littoraux manquant d'eau, que la dessalinisation de l'eau de mer offrait la solution. Mais les techniques jusqu'ici utilisées, par chauffage suivie de condensation, avaient des contreparties empêchant leur généralisation: coût élevé en énergie et en production de CO2 notamment.

Aujourd'hui des techniques faisant appel à des membranes semi-perméables inspirées des solutions utilisées par les membranes biologiques permettent de laisser passer les molécules d'eau en filtrant les sels. De l'énergie reste encore nécessaire, mais le coût en a diminué d'un facteur 10. Les mêmes techniques peuvent être utilisées pour filtrer et régénérer les eaux usées. A terme, on peut envisager que les besoins du monde en eau douce, si celle-ci n'est pas gaspillée, pourront être satisfaits.

L'énergie et la question du changement climatique

Pour stabiliser celui-ci il faudra réduire la production de gaz à effet de serre de plus de 100% dans les prochaines décennies. Mais dans le même temps, les besoins en énergie des pays émergents et des pays pauvres augmenteront sans commune mesure d'ici 2050.

Pourtant les ressources de la nature seraient largement suffisantes, si les humains s'organisaient pour mieux les utiliser afin de satisfaire les besoins en énergie. Encore faudrait-il s'affranchir des calculs à court terme conduisant à privilégier les énergies traditionnelles, ainsi que de l'influence politique des multiples intérêts associés à leur production, leur distribution et leur consommation. Le paradoxe malheureux tient au fait que pour financer les recherches destinées aux énergies nouvelles, il faut être riche et pour cela disposer non de l'accès directe à l'énergie fossile, qui ne suffit pas (on a parlé de la malédiction du pétrole) mais de toute la puissance industrielle qui s'est bâtie autour de l'exploitation de cette énergie. Or les détenteurs actuelles de cette puissance - concrètement les multinationales pétrolières et gazières - hésitent encore à financer des solutions rivales.

De véritables politiques volontaristes s'imposent donc, visant à privilégier des investissements qui par la force des choses, ne produiront pas de résultats avant plusieurs années, sinon plusieurs décennies. Ceux-ci concernent à la fois la production, à partir de sources dites renouvelables, et le stockage-distribution. Ces investissements ne rendront pas inutiles les efforts à conduire en parallèle pour généraliser les économies d'énergie. Mais là encore des investissements importants, non productifs à court terme, seront nécessaires.

Au point de vue scientifique, ces perspectives intéressent un très grand nombre de secteurs industriels déjà existant. Mais parallèlement, l'imagination des chercheurs fait apparaître en permanence de nouveaux domaines de recherche, dont la portée théorique est considérable. Il s'agit, comme en parallèle et d'une autre façon le domaine des nouvelles armes ou celui de l'exploration spatiale, d'un stimulant irremplaçable à la recherche théorique et appliquée.

Partout dans le monde est entrepris le mouvement consistant à remplacer progressivement les combustibles fossiles par de nouvelles sources d'énergie. Mais il pourrait être plus rapide si, comme indiqué ci-dessus, des décisions politiques explicites étaient prises en sa faveur.

Concernant l'énergie solaire à base de panneaux, on prévoit que l'électricité solaire sera dans une vingtaine d'années moins couteuse que l'énergie provenant des sources traditionnelles. Ceci même dans les pays asiatiques ou la consommation d'énergie ne cesse d'augmenter. Mais pour cela d'importantes innovations devront être conduites. Elles concerneront la nature des capteurs proprement dit, les modalités de leur déploiement au sol, les convertisseurs transformant le courant continu en courant alternatif, les réseaux de distribution, dorénavant dits « intelligents ».

Parallèlement les technologies de stockage et de conversion de l'énergie électrique primaire devront être radicalement améliorées, afin notamment de permettre l'alimentation des véhicules. De nombreuses solutions sont à l'étude, batteries au lithium, batteries dites solides (solid state) dépourvues d'électrolyte liquide, batteries métal-air. Aucune de ces solutions n'est encore pleinement opérationnelle, mais il faut poursuivre les recherches.

Parallèlement l'utilisation de l'hydrogène risque d'être bouleversée par une découverte récente. L'hydrogène produit par électrolyse de l'eau, encore très couteux, devrait pouvoir être remplacé par l'utilisation d'un hydrogène naturel généré, comme le gaz naturel, dans les couches géologiques profondes. Si cette découverte, initialement faite en Russie,se confirmait, et si l'extraction de l'hydrogène natif pouvait se faire comme annoncé sans toutes les conséquences dommageables de l'extraction du gaz de schiste, elle aurait de nombreuses conséquences favorables sur les perspectives ici envisagées. Un grand nombre de travaux et de publications sont en cours sur cette question dans le monde entier. La France, avec l'Ifpen et le Lied y tient une place très honorable. Sur la question, voir Sciences et Avenir . Voir aussi Enerzine.com .

D'autres sources d'énergie potentielle sont actuellement en développement dans tous les pays avancés, notamment en Europe et en France. Mais là encore s'impose le passage du plan expérimental au plan de la production à grande échelle. La presse évoque ces questions de plus en plus souvent, ce qui est une bonne chose afin de créer une motivation sociétale profonde.

Citons l'énergie éolienne et l'énergie marée-motrice. Dans ces domaines s'impose le passage à des unités de production de plus en plus importantes. Outre leur intérêt propre, elles permettront la relance des industries mécaniques mises en difficulté par la diminution de la demande dans le secteur de l'automobile.

L'énergie nucléaire, qui n'est encore (à peu près) maîtrisée que par un petit nombre de pays avancés, mais qui en attirent beaucoup d'autres, pose un problème particulier. Pour le moment, il ne s'agit pas d'une source renouvelable. D'une part elle repose sur la fission d'un métal de plus en plus rare, l'uranium. D'autre part, elle produit des déchets fortement radioactifs que l'on ne sait pas encore traiter et qu'il faut donc stocker. Enfin les usines de production d'électricité nucléaires nécessitent des mesures de sureté qui ne sont pas à la portée de tous. En cas de catastrophe, des millions de morts peuvent en résulter. Il s'agirait donc d'une forme d'énergie qu'en bonne logique il faudrait abandonner au plus vite.

Mais ceci ne se fera pas, pour une raison qui ne tient pas seulement aux calculs économiques des pays (tels que la France) ayant considérablement investi dans ce domaine. Elle tient au fait que maîtriser la fission donne une compétence industrielle et technologique sans rivale, réutilisable dans d'autres secteurs. Par ailleurs et surtout, cette compétence conduira inévitablement, dans un délai de quelques décennies, à la maîtrise de la fusion, dont les risques devraient être infiniment moindres et les retombées très nombreuses. La fusion (Hydrogène vers hélium) constitue le processus au coeur de la nucléosynthèse stellaire. Les pays tels que ceux rassemblés dans le consortium ITER, dont la France, pourront espérer du succès de la démarche des avantages compétitifs considérables.

Les matières premières minérales

Dans cette rubrique, il faut mentionner toutes celles qui sont indispensables au développement des technologies et industries citées précédemment, utilisant du fer, de l'aluminium, du cuivre, du nickel et autres métaux semi-rares. Les réserves mondiales en minerai seraient théoriquement suffisantes, si des politiques d'économie et de récupération sérieuses étaient mises en oeuvre parallèlement. Mais elles sont mal réparties. Beaucoup de pays développés, notamment en Europe, sont à cours de ressources. Par contre les pays pauvres, particulièrement en Afrique et Amérique Latine, sont bien dotés. Ceci devrait permettre que s'établissent des échanges sur un pied de réciprocité.

Une vraie question, qui a été soulevée récemment, concerne par contre les métaux rares, extraits à partir des terres dites rares. Ils sont indispensables dans pratiquement tous les usages résultant de la généralisation des technologies de l'électronique et des communications, comme de l'automatisation et de la robotique. Les pays industriels utilisateurs s'étaient reposés dans la décennie précédente sur les exportations de terres rares provenant de la Chine, qui dispose de ressources abondantes. Mais celle-ci entend désormais monnayer très cher cette ressource, sinon s'en réserver un usage exclusif. Ceci serait évidemment insupportable pour le reste du monde.

Il convient donc d'une part de rechercher d'autres gisements, de généraliser la récupération et surtout de favoriser la mise au point de solutions technologiques permettant de se passer des métaux rares si ceux-ci devenaient effectivement rares. L'objectif n'est pas aisé à atteindre, mais il présentera un effet d'incitation à la recherche fondamentale d'un très grand intérêt.

L'évaluation des externalités

Des progrès au niveau de toutes les technologies évoquées ci-dessus ne suffiront pas, s'ils ne s'accompagnent pas de progrès parallèles dans les sciences économiques et comptables. Malheureusement les investissements intellectuels dans ces disciplines ont principalement bénéficié aux sciences financières et à la spéculation boursière. Il est devenu urgent, dans la perspective d'un effort supposé massif et mondial de bonne gestion des ressources de la planète, que les scientifiques étudient en détail ce que l'on nomme les externalités, autrement dit des domaines qui restent étrangers aux sciences économiques traditionnelles et ne font pas l'objet de politiques concertées.

Il s'agira d'évaluer d'une part les coûts cachés, et la façon dont ils pourraient être réduits, d'autre part les biens collectifs fournis par la nature, dans lesquels l'humanité puise sans compter en s'imaginant qu'ils sont indéfiniment renouvelables. Parmi les premiers, nous pouvons mentionner les couts biologique du sous-développement, de la mal-nutrition et des maladies contagieuses naissant de la pauvreté. Ils ne touchent pas seulement les populations directement victimes, mais d'une façon ou d'une autre l'ensemble des sociétés, y compris celles se disant riches. Parmi les seconds se trouvent l'eau et l'air pur évoqués précédemment, les grands espaces libres, les forêts...tous biens dont ne découvre la valeur que lorsqu'ils ont disparu par surexploitation ou négligence.

Dans des sociétés qui n'attribuent d'importance aux personnes et aux choses qu'en fonction de leur valeur économique marchandisable, il est donc indispensable d'évaluer les externalités en termes aussi scientifiques que possible, afin de les faire entrer dans les comptabilités nationales et les comptes privés. Il sera alors nécessaire de les faire prendre en considération, par les particuliers comme par les collectivités. Inutile de préciser que ces évaluations doivent faire appel à des experts, afin d'être crédibles et d'être mises à jour.

Troisième partie. Préparer le grand futur

Appelons grand futur celui qui s'étendra des 20 aux 50 prochaines années, puis au delà. Vu la lenteur des évolutions intéressant les sociétés humaines, et la difficulté à s'accorder sur des politiques communes, cet avenir encore lointain doit nous mobiliser dès aujourd'hui. Ceci d'autant plus que les solutions technologiques qui seront nécessaires devraient commencer à être mises en oeuvre sans attendre. Ceci représenterait un effet d'entraînement important pour l'ensemble des sciences et des techniques, avec des retombées immédiates dans les domaines cités par la seconde partie de cette note.

Nous nous limiterons ici, pour ne pas dépasser le cadre d'un tel document, à un survol des questions posées. Elles donnent d'ailleurs matière à de nombreuses controverses, techniques ou politiques, que nous ne pouvons pas aborder.

En simplifiant, nous dirons que, sauf accidents de parcours, le futur s'organisera autour de trois grandes « révolutions » déjà inscrites dans l'évolution actuelle des sciences et des techniques: le cerveau artificiel, la biologie synthétique, un début de « conquête » du système solaire.

Le cerveau artificiel


Ce terme très général désigne les progrès (exponentiels et convergents, selon les termes des Singularistes) qui caractérisent aujourd'hui les neurosciences, l'intelligence artificielle, la robotique autonome et le domaine dit de l' « homme augmenté », c'est-à-dire augmenté par des prothèses de plus en plus efficaces.

Les neurosciences, sous leurs divers aspects, vont bientôt commencer à bénéficier des acquis des deux grands programmes d'étude du cerveau et du système nerveux des animaux supérieurs, lancés cette année en Europe et aux Etats-Unis, sans mentionner ce qui se fait en Chine. Ces programmes, dits Human Brain Projects, se développeront inexorablement, vu l'intérêt stratégique qu'ils présentent pour les sciences cognitives, la médecine et aussi la défense.

Dans le même temps, l'Intelligence artificielle (IA) sera conduite à simuler avec de plus en plus de précision la façon dont, spontanément ou d'une façon délibérée, se mettent en place dans les grands réseaux caractérisant les sociétés numériques, des centres de décision analogues à ceux existant au sein des cortex humains ou des groupes sociaux. On a évoqué récemment le « trading haute fréquence » qui conduit les intérêts financiers à déléguer la gestion de leurs intérêts à des algorithmes de plus en plus autonomes. Ceci ne fera que se développer, dans un nombre croissant de domaines, la surveillance dite sécuritaire ou la santé, par exemple.

Enfin, parallèlement, la robotique produira des animaux et humains artificiels, dotés de corps beaucoup plus efficaces que les corps biologiques et capables d'utiliser par ailleurs tous les systèmes cognitifs étudiés par l'IA. Ces robots seront de plus en plus autonomes, c'est-à-dire capables de prendre seuls des décisions. Ils le feront soit individuellement, soit en groupes ou essaims. De tels robots sont déjà indispensables pour explorer les environnements inaccessibles à l'homme, ou dangereux. Il n'y aura pas de conquête spatiale sérieuse sans eux.

On appelle « homme augmenté » l'homme doté, à titre temporaire ou permanent, de toutes les aides apportées par ces diverses techniques. Les militaires s'y intéressent évidemment en priorité, mais aussi les thérapeutes. Bientôt, le grand public lui-même voudra bénéficier de ces avantages, si le cout en devient abordable.

Il en résulte que, selon les prévisions les plus prudentes, un véritable cerveau artificiel doté des capacités intellectuelles du cerveau humain, devrait voir le jour dans les 20 à 30 prochaines années. Il sera évidemment connecté aux humains artificiels produits par la robotique et doté des capacités d'intelligence procurées par l'IA en réseau.

Dans quelles conditions, économiques, politiques, sociétales, cette première révolution se mettra en place? Les citoyens d'aujourd'hui ne peuvent pas refuser de s'en préoccuper, d'abord en s'informant, ensuite en essayant d'orienter les développements dans le sens d'une meilleure démocratie.

La biologie synthétique

Ce terme, que l'on peut confondre ici avec celui de biologie artificielle, désigne des directions de recherche déjà bien engagées, consistant, dans un premier temps, à « construire » des virus ou des bactéries en assemblant de façon artificielle les différents composants naturels de ces organismes, détachés de l'organisme initial et recomposés pour constituer des organismes dotés de nouvelles propriétés. Il s'agit donc d'aller plus loin que l'actuel génie génétique, consistant à ne modifier que certains gènes d'une espèce donnée. Les perspectives sont nombreuses: obtenir par exemple des bactéries ou micro-organismes capables d'utiliser la photosynthèse pour produire des matières premières énergétiques ou alimentaires.

Mais les ambitions de la biologie synthétique ne se limitent pas à ces premières phases. Pour aller au delà, il s'agira de reconstruire des ADN et composants moléculaires de synthèse, capables de s'affranchir d'une partie des contraintes de la biologie naturelle. De tels organismes pourront alors se développer dans des milieux a priori incompatibles avec la vie telle qu'elle existe aujourd'hui.

Les paléobiologistes, par exemple, ne désespèrent pas de pouvoir avec ces méthodes reconstruire des organismes disparus. Même s'ils n'y réussissent pas, ils pourront se consoler en faisant apparaître des organismes n'ayant jamais existé, qui pourront survivre dans nos sociétés.

On considère généralement que la « révolution » annoncée par la biologie synthétique sera aussi importante que celle annoncée par les neurosciences de l'artificiel. Les deux domaines de recherche se conjugueront d'ailleurs.

La conquête du système solaire


La plupart des futurologues considèrent que l'avenir des sociétés humaines sera conditionné par la capacité de s'adapter et survivre au sein du système solaire. Différentes directions devront alors être explorées: mieux connaître au plan scientifique non seulement le système solaire mais le cosmos en général, exploiter les ressources en matière premières des planètes proches ou de certains astéroïdes, s'établir de façon temporaire ou permanente sur des planètes voisines, la Lune et Mars en priorité.

Ceci dit, rien ne permet à ce jour d'affirmer que les organismes humains, compte tenu de leurs capacités physiques actuelles, pourraient durablement s'acquitter de ces diverses tâches. Par contre, les robots évoqués dans les paragraphes précédents le peuvent. Il en sera de même de systèmes biologiques artificiels spécialement définis pour ces tâches.

La conquête spatiale, puisqu'il faut bien parler de conquête, n'en déplaise aux bonnes âmes, ne pourra donc prendre une véritable dimension stratégique, qu'en faisant appel aux différentes technologies que nous avons résumées ci-dessus. Si des humains s'établissaient durablement sur une planète (en abandonnant éventuellement toute perspective de retour sur Terre), ce ne serait qu'après de longs travaux d'accueil confiés à des organismes artificiels. Ce ne serais donc sans doute pas avant un siècle, sinon plus. Mais peut-être cette affirmation est-elle trop pessimiste.

Conclusion

Comment financer toutes les recherches et investissements évoqués dans les deux dernières parties de cet article? Ceci ne sera pas possible sans reconvertir à cette fin des ressources humaines, technologiques et industrielles consacrées actuellement à la guerre et à la consommation, notamment à la consommation somptuaire analogue à du gaspillage dont certaines classes dirigeantes sont prodigues.

Pour prélever dans les ressources ainsi consommées et les rediriger vers des investissements de recherche scientifique et technique, chaque Etat ou groupe d'Etats fera appel à sa logique politique. Concernant un régime de type autoritaire comme la Chine, ce sera principalement à l'impôt. Aux Etats-Unis, ce sera sans doute à l'emprunt. Concernant les pays européens et notamment la France, où les épargnes des particuliers restent fortes, nous avions précédemment suggéré une méthode recommandé par des économistes amis (notamment Joseph Leddet, conseil indépendant en placements et auteur de la Gazette des Changes). Nous lui donnons la parole:

« Plutôt qu'un emprunt d'Etat, je proposerais, ainsi que déjà écrit antérieurement, un fonds d'investissement stratégique, à l'échelle européenne,  abondé par l'épargne privée (particuliers et entreprises) et offrant un rendement annuel assuré (payé)  par l'Etat, un genre de partenariat public/privé au sens large, avec des parts cotées en Bourse pour permettre aux investisseurs de récupérer leur cash s'ils le désirent.
Pour l'Etat, cela revient un peu au même qu'un emprunt perpétuel, mais c'est plus attrayant en termes de présentation externe ».

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