Alan Turing, à l'âge de 16 ans en 1928.

Alan Turing, l'homme qui a posé les bases de la réflexion sur l'intelligence artificielle.

AFP PHOTO / FILES / SHERBORNE SCHOOL

Le week-end dernier, les médias -dont L'Express- se sont fait l'écho d'une expérience qualifiée d'"historique" dans l'histoire de l'informatique: un programme informatique avait réussi le test de Turing, en se faisant passer pour un adolescent de 13 ans auprès d'un tiers de ses juges pendant cinq minutes.

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Le test de Turing, qui vise à évaluer la capacité d'un ordinateur à imiter une conversation humaine, est considéré comme une référence fondatrice en matière d'intelligence artificielle. Mais des critiques sont apparues quant à la validité de cette expérience, son sérieux et ses résultats. Pour comprendre en quoi consiste réellement le test de Turing, le remettre dans son contexte historique et analyser la portée de l'expérience de ce week-end, nous avons interrogé Jean-Gabriel Ganascia, expert en intelligence artificielle et philosophe, professeur à l'université Pierre et Marie Curie.

Quel est votre jugement sur l'expérience qui a fait l'actualité la semaine dernière?

Il n'y a pas grand-chose à en dire. La conversation n'est même pas publiée, très peu de détails sont disponibles... Et elle a été organisée par Kevin Warwick, un habitué des déclarations fracassantes et des coups médiatiques. Il a notamment expliqué il y a des années qu'il se mettait des puces sous la peau pour un jour devenir un cyborg...

En quoi consiste le test de Turing?

Ce test a été introduit par Alan Turing, considéré comme un des pères de l'informatique, dans deux articles écrits en 1947 et 1950, dans lesquels il explore les concepts d'intelligence artificielle, qui à l'époque ne s'appelait pas encore comme cela. Il y pose la question "est-ce que les machines peuvent penser?", et définit ce qui serait une machine intelligente. En 1947, il imagine une expérience à partir d'une partie d'échecs, où il s'agirait pour une machine intelligente non pas de gagner, mais de tromper son adversaire sur sa nature de machine.

C'est en 1950 qu'il imagine le test des questions-réponses, que l'on connaît désormais sous le nom de "test de Turing", dont il donne plusieurs versions. Dans la première, on met un "juge" face à une femme et à un homme qui doit se faire passer pour une femme, et le juge doit déterminer qui est l'homme et qui est la femme. Puis un ordinateur remplace l'homme qui imite la femme. Et on compare le taux d'erreur du juge dans les deux cas. Dans la deuxième version, le juge est face à un homme et un ordinateur, qui doivent tous les deux se faire passer pour une femme. Dans une troisième version, la plus connue, un jury pose des questions et l'ordinateur doit convaincre une part significative du jury qu'il est humain. Alan Turing prévoit alors que 50 ans plus tard, les machines seront suffisamment intelligentes pour tromper le jury pendant 5 minutes avec un taux de réussite de 70%.

Des machines ont-elles déjà réussi le test de Turing?

Dans les années 60, Joseph Weizenbaum a inventé un système conversationnel, baptisé Elisa, qui a réussi à tromper des juges, et a servi de base aux chatbots [des logiciels qui font la conversation NDR] que nous connaissons aujourd'hui. Chaque année, le Loebner Prize récompense les meilleurs chatbots.

Que montre la réussite à ce test?

Premièrement, "passer le test de Turing" ne veut pas dire grand-chose. Ce n'est pas un test de QI ! On ne "passe" pas le test de Turing, cela n'a pas de sens. Et pas de signification particulière. Les chatbots, ce ne sont pas les technologies les plus perfectionnées en matière d'intelligence artificielle. Watson, par exemple, est beaucoup plus perfectionné. L'intelligence artificielle, c'est beaucoup plus que les seuls agents conversationnels. D'autre part, ce test n'avait qu'une portée théorique chez Alan Turing. Tout l'intérêt était dans la notion d'imitation de l'être humain, jusque dans son genre. C'est dommage que tout le monde oublie cela!

Le test a-t-il encore un intérêt aujourd'hui, en l'état actuel des connaissances?

Oui, au sens où c'est la base d'une technique particulière. Pas mal d'universitaires travaillent dessus pour mettre au point des agents de dialogue.

A-t-il été remplacé par un test plus moderne, qui constitue la nouvelle référence et imagine les frontières l'intelligence artificielle pour les 50 prochaines années?

On ne peut pas dire qu'il y ait un seul paradigme. Tout le monde n'est pas d'accord. Il n'y a donc pas de référence. D'ailleurs, c'est assez récent que l'on pose le test de Turing en référence. En passant dans la culture générale, il a été un peu galvaudé.


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