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Jérôme Kerviel ira en prison mais son amende est annulée

par Chine Labbé PARIS (Reuters) - La Cour de cassation a confirmé mercredi la condamnation pénale de Jérôme Kerviel à trois ans de prison ferme mais a cassé les dispositions civiles de l'arrêt l'obligeant à payer 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts pour une perte record en 2008 à la Société Générale. La condamnation de l'ex-trader, qui n'échappera pas à la prison, sera exécutoire dès que la décision de la Cour de cassation lui sera notifiée, ce qui devrait prendre entre quinze jours et un mois, a précisé son avocat, Me Patrice Spinosi. Les dommages et intérêts sont quant à eux annulés. Des juges de la Cour d'appel de Versailles devront se prononcer lors d'un nouveau procès au civil sur le préjudice financier de la Société générale et le montant des dommages imputables à Jérôme Kerviel. David Koubbi, l'un des avocats de l'ancien trader, a estimé qu'il s'agissait d'une "victoire forte" pour Jérôme Kerviel. "Aujourd'hui, la plus haute juridiction française, la Cour de cassation (...) vous indique que ce n'est pas une affaire à 5 milliards d'euros", a-t-il dit à la presse. "C'est la fin d'une affaire Kerviel, et nous débutons aujourd'hui une affaire Société Générale", a-t-il ajouté, précisant qu'il demanderait une expertise indépendante sur la perte subie par la banque, pour établir ses "fautes". Le défenseur de la Société générale, Me Jean Veil, a estimé au contraire qu'il n'y avait "rien de nouveau dans ce dossier". "M. Kerviel a perdu son procès, la Société générale a gagné son procès", a-t-il dit. "Nous savions, au moment où les faits ont été découverts, qu'il y avait des défaillances dans notre système, défaillances que nous avons réparées." ÉVOLUTION DE LA JURISPRUDENCE Jérôme Kerviel a été condamné en octobre 2012 par la Cour d'appel de Paris pour abus de confiance, faux et usage de faux et introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé. (voir) Tout en relevant de "nombreuses fautes" de la banque, condamnée en 2008 par la commission bancaire à une amende de 4 millions d'euros pour défaut de contrôle, la Cour d'appel de Paris a estimé qu'il était l'"unique concepteur, initiateur et réalisateur du système de fraude". Jérôme Kerviel a toujours dit que la Société Générale savait qu'il prenait des positions vertigineuses non couvertes. Selon lui, une étude comptable et financière permettrait de démontrer que la banque a gonflé ses pertes lorsqu'elle a débouclé ses positions de 50 milliards d'euros. Devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, Me Patrice Spinosi avait plaidé que les "inactions" de la banque avaient permis l'infraction et imposaient d'apprécier un "partage des responsabilités" entre son client et la banque. Un avis suivi mercredi par la Cour de cassation, qui a ainsi fait évoluer sa jurisprudence en la matière. Jusque-là, le principe de partage des responsabilités n'était pas pris en compte dans le cas d'infractions aux biens. "Quelle que soit la nature des infractions commises, les juridictions pénales qui constatent l'existence d'une faute de la victime ayant concouru au dommage sont amenées à en tirer les conséquences sur l'évaluation du montant de l'indemnité due à cette dernière par le prévenu", dit la Cour dans un communiqué. Une éventuelle prise en compte du partage des responsabilités par la cour d'appel de Versailles pourrait aboutir à une révision à la baisse des dommages et intérêts imputables à Jérôme Kerviel, souligne une source judiciaire. KERVIEL POURSUIT SON "COMBAT" "Il peut y avoir, par ricochet, de facon indirecte, une implication fiscale", explique par ailleurs à Reuters l'avocat fiscaliste Mabrouk Sassi, rappelant que les sociétés peuvent bénéficier d'une déduction fiscale sur une partie de leurs pertes exceptionnelles. "Tout va dépendre du quantum retenu par la cour d'appel dans l'évaluation de la faute" de la Société générale, ajoute-t-il, précisant que c'est le fisc qui déciderait alors de l'opportunité d'un redressement fiscal. Une possibilité que balaye toutefois l'avocat de la Société générale. Jean Veil estime que la jurisprudence fiscale en la matière ne s'applique pas à cette affaire. Jérôme Kerviel, qui a entrepris de marcher de Rome à Paris "contre la tyrannie des marchés", était à Modène mercredi, et n'a pas assisté à la lecture de l'arrêt. "C'est une super bonne nouvelle", a-t-il dit à des journalistes qui le suivaient dans son périple, indiquant qu'il continuerait à marcher. Les 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts le condamnaient à être le débiteur de la Société générale jusqu'à sa mort, même si la banque s'était engagée à procéder au recouvrement de cette dette "avec discernement et humanité." "Mon combat continue", a dit Jérôme Kerviel. Outre ce pourvoi en cassation, il a porté plainte contre la Société générale pour escroquerie au jugement et faux et usage de faux. Patrice Spinosi a indiqué qu'il allait prendre contact avec le parquet pour connaître les modalités d'exécution de sa peine. "Il semble pour le moins étonnant d'incarcérer Jérôme Kerviel alors même que vient d'être reconnue l'existence de manquements significatifs de son employeur", a-t-il dit. (avec Lionel Laurent à Paris et James Mackenzie à Modène, édité par Yves Clarisse)