Le Traité de Lisbonne et la peine de mort

Il y a peu, je tombe sur un article qui provoque mon effarement : « Le Traité de Lisbonne autorise la peine de mort » sur le site oulala.net où l’on peut lire ceci :

« Tous les Etats membres de l’Union européenne ont aboli la peine de mort. Lors d’émeutes, c’est la prison qui est la pire sanction qui attend les insurgés. Or le Traité de Lisbonne admet de nouveau la peine de mort pour les insurgés au sein de l’Union européenne. »

L’article cite des textes non référencés, et puisque je trouve généralement les articles de ce site assez bon, je me décide à faire ma recherche. Après quelques clics sur Google, je trouve effectivement des sites qui traitent du même sujet. Je me décide à approfondir la vérification sur le site de l’union européenne.

Et ce que j’y trouve est tellement gros, et tellement tu, qu’il me semble essentiel de faire tourner au maximum cette info.

D’abord, un peu de relativité : le traité de Lisbonne ne rétablit pas réellement, selon ce que j’en lis, la peine de mort, dans le sens où elle n’introduit pas dans la pléthore de peines applicables par la justice la possibilité de condamner quelqu’un à mort. Loin de moi l’idée de vouloir minimiser les implications de ce qui est écrit dans le Traité, mais il est important d’énoncer des vérités. Ce qu’elle autorise, et ce n’est pas moins condamnable, c’est en gros qu’on tire dans les foules.

Le Droit à la vie est donc bel et bien remis en question, et notamment de la façon dont ce petit article dérogatoire est subtilement clairsemé dans un texte qui m’a nécessité une certaine recherche, étant pourtant déjà en connaissance de cause. En effet, comme le dit Oulala.net, si le fait que l’Irlande ait refusé de ratifier le texte par referendum nous ait été transmis, il a peu été clairement expliqué pour quelle raison. L’une de ces raisons est donc qu’il transgresse certains principes de la Constitution Irlandaise. Mais quels principes ? Et bien dans le mille, le principe du droit à la vie, et du droit à l’insurrection (on les comprend bien, ces grands insurgés dans l’âme).

Ainsi, et bien que la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1793 déclare dans son article 35 que « quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs », le Traité de Lisbonne revient effectivement sur ce principe. La façon dont il le fait est particulièrement mesquine. Le Traité de Lisbonne, s’il venait à être ratifié, intégrerait la « Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne ». Lorsqu’on consulte cette Charte, disponible en .pdf sur le site de l’Union (voir lien supra), on peut y lire à l’article 2 (page 9) :

« Droit à la vie
1. Toute personne a droit à la vie.
2. Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté. »

La phrase est claire et rien dans ce texte ne renvoie à un document annexe ou à un éventuel commentaire. Et pourtant, on trouvera dans un autre document intitulé « Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux » ce passage :

3.  Les dispositions de l’article 2 de la Charte correspondent à celles des articles précités de la CEDH et du protocole additionnel. Elles en ont le même sens et la même portée, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte. Ainsi, les définitions «négatives» qui figurent dans la CEDH doivent être considérées comme figurant également dans la Charte:

a)   l’article 2, paragraphe 2, de la CEDH:

«La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire:

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale;
b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue;
c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection.»

Ainsi, si j’ai bien tout compris :

Non, le Traité de Lisbonne ne réintroduit pas la peine de mort dans les tribunaux pénaux.

Oui, il remet complètement en question le Droit à la vie en autorisant légalement la mort en cas d’émeute ou insurrection. D’une part, la mort légale en situation de répression est tout simplement inacceptable. D’autre part, faudra-t-il rappeler qui s’insurge, se révolte, et pourquoi ? Acceptera-t-on la mort « légale » des prochains « Contis » sous légitimité européenne le jour où, pour une frasque financière de plus, ils lapideront leurs patrons sous des jantes sous-traitées ?

Arx Tarpeia Capitoli Proxima.

Qu’on se sente obligé de le masquer dans des annexes de documents annexes au Traité de Lisbonne doit nous inquiéter, doit nous faire réagir, ainsi que le manque de remise en question du Traité suite au refus par Referendum, et la façon dont on change simplement sa communication, voire les lois constitutionnelles irlandaises afin que l’argument soit désormais invalide. Toute cette rhétorique européenne est à dénoncer.

EDIT : une analyse par un professeur de droit qui la conteste, sur mecanopolis.org : http://www.mecanopolis.org/?p=9506, un extrait :

Pouvez-vous imaginer une raison pour laquelle on prend ce genre de décision?

Les gouvernements s’attendent manifestement à des insurrections. Le scepticisme à l’égard des gouvernements et de l’appareil européen ne cesse d’augmenter. La crise financière et économique accentue la pression sur la population.

Donc on a l’intention de tirer sur les manifestants?

C’est ce qu’il semble.


8 Réponses to “Le Traité de Lisbonne et la peine de mort”

  1. Stephan Says:

    Lorsque j’ai vu passer les premiers articles concernant cela, c’était sur des sites douteux, évoquant la théorie du complot.

    Et puis blam cela se confirme. Blam les premières analyses surgissent…

    Avantage : les flics londoniens pourront causer la mort d’un non manifestant dans une « émeute » sans qu’on les emmerde, la prochaine fois…

  2. Sarah Says:

    o_O

    WOW!

    NOIR sur BLANC.

    Bang.

  3. P.H. Says:

    Je voudrais préciser une toute petite phrase dans l’introduction du document « Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux » qui a été malencontreusement omises par Arachnee :
    « Bien que ces explications n’aient pas en soi de valeur juridique, elles constituent un outil d’interprétation précieux destiné à éclairer les dispositions de la Charte. »
    Ces documents n’ont aucune valeur juridique et ce sera aux juges de la CJUE d’interpréter le droit communautaire. Notez, qu’avant la charte des droits fondamentaux n’avaient aucune valeur juridique et n’était par conséquent pas contraignants pour les Etats membres qui avaient sur ces points cruciaux une marge de manoeuvre bien plus large qu’une fois la charte incluse dans la version consolidée du TUE et TFUE. De plus, avec le traité de Lisbonne, l’UE va bientôt adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme adoptée par le Conseil de l’Europe qui jouera alors un garde fou au niveau communautaire également. Certes, ce document  » Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux » (d’autant plus que la source est Euro-Lex) peut inquiéter mais je ne pense vraiment pas que demain on pourra impunément tirer comme à la foire dans les manifestations.

    • Arachnee Says:

      Dans le lien cité à la fin de l’article [ http://www.mecanopolis.org/?p=9506 ], ces questions sont abordées, mais le constat n’en est pas moins pessimiste :

      Il y a des politiques et des juristes qui affirment que les droits fondamentaux d’un pays ne peuvent qu’être améliorés par le Traité de Lisbonne, qu’ils ne peuvent pas être dégradés.

      La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’affirme ni la priorité des droits fondamentaux nationaux ni un principe d’avantage et elle ne formule aucune clause restrictive. Ceux qui prétendent cela montrent qu’ils ne connaissent pas le droit communautaire.

      Comment cela?

      Ils se fondent sur l’article 53 de la Charte, mais le texte ne dit pas cela. Il stipule qu’«aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit international et les conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, la Communauté ou tous les Etats membres, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que par les constitutions des Etats membres». Le passage «dans leur champ d’application respectif» est essentiel. En effet, si c’est le droit communautaire qui s’applique, les droits fondamentaux de l’Union européenne sont déterminants (article 51-1) et si c’est le droit national, les droits fondamentaux nationaux sont déterminants. Les deux textes ne s’appliquent jamais simultanément.

      Mais la Cour de justice européenne pourrait établir que dans ce cas, le droit national est prioritaire.

      Mais c’est justement ce qu’elle n’a jamais fait. Elle s’estime toujours compétente. En outre, l’interdiction de la peine de mort n’est pas un droit fondamental, si bien que l’argument selon lequel les droits fondamentaux ne peuvent pas être dégradés n’est pas valable.

      Cependant, je ne pense pas non plus qu’on tirera impunément du jour au lendemain. Mais on ne peut nier qu’à un moment, la construction européenne a ressenti le besoin de préciser qu’elle légitimerait explicitement quelque chose qui n’était pas légitime avant. Tout en agréant qu’il faut relativiser, je pense qu’il faut savoir rester inquiet.

  4. P.H. Says:

    Pour ce qui est du refus irlandais, je voudrais dire que le point litigieux portait sur l’article 40, §3 de la constitution qui interdit l’avortement. Il a été d’ailleurs ajouté un protocole (le protocole n°35) aux traités consolidés pour que l’interdiction de l’avortement soit sauvegardée dans le droit irlandais. Enfin, n’oubliez pas que l’Irlande a « refusé » de ratifier le traité de Lisbonne par voie référendaire, ce qui implique de nombreux autres facteurs que celui de la transgression de lois constitutionnelles (comme le principe du dumping fiscal qui a tant profité à nos amis les irlandais).

  5. Le Traité de Lisbonne et la peine de mort | patty69150358 Says:

    […] See on danslesfers.wordpress.com […]

  6. France : rétablissement de la peine de mort | Dreuz.info Says:

    […] (2) https://danslesfers.wordpress.com/2009/09/10/le-traite-de-lisbonne-et-la-peine-de-mort/ […]

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