Ni PPDA, qui l'a en vain invité à son journal de 20 Heures, ni les grands éditeurs, qui l'ont harcelé pour publier son témoignage, ne l'ont fait changer d'avis. Pas question pour Jérôme Kerviel, devenu il y a quatre mois une célébrité internationale, de sortir de sa réserve.

Du moins pas avant le bouclage, prévu pour la fin juillet, de l'instruction judiciaire actuellement menée par les juges Renaud Van Ruymbecke et Françoise Desset. En attendant, l'ex-trader dont les acrobaties financières ont fait perdre 4,9 milliards d'euros à la Société générale - et ont coûté à Daniel Bouton son poste de patron opérationnel - prépare activement sa défense avec ses avocats.

Et il s'initie à son nouveau job de consultant informatique. Quoi qu'il arrive, le jeune homme de 31 ans, fils d'un artisan chaudronnier et d'une artisan coiffeuse de Pont-l'Abbé, dans le Finistère, entend définitivement tourner la page de la finance casino.

La prof qui lui a donné sa vocation

Elève au lycée Laennec de Pont-l'Abbé, le jeune Kerviel n'aurait manqué pour rien au monde les cours de sciences économiques et sociales. Son prof, jusqu'à son bac en 1995, s'appelait Claudine Le Pors : «Jérôme était très motivé, se souvient-elle. Il avait un esprit critique aiguisé et posait beaucoup de questions.» C'est elle qui l'a initié à la spéculation en créant dans sa classe, en 1994, un club d'investissement boursier, doté d'un capital de 3000 francs apporté par trois entreprises locales. Le futur trader et ses camarades ont su le faire fructifier habilement.
Voisine de la maison des Kerviel, Claudine Le Pors prenait fréquemment le chemin du lycée avec son élève. L'occasion de discuter des économistes classiques, notamment Adam Smith.

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Sa ceinture bleue
Foot, voile... Jérôme Kerviel collectionnait les sports. Mais c'est dans le judo qu'il s'est le plus investi. Ce qui l'a aidé à dépasser son caractère plutôt réservé. Entre 11 et 17 ans, il était donc un habitué du dojo «pays bigouden» de Pontl'Abbé, donnant à l'occasion des coups de main pour entraîner des élèves plus jeunes.

«Il était très bon techniquement, témoigne Philippe Orhant, qui a été son professeur pendant six ans dans la salle omnisports de Ker Arthur. Mais il a dû arrêter après avoir obtenu sa ceinture bleue, deux grades avant la noire, à cause de problèmes de genoux.» A l'époque, le jeune judoka était en effet assez corpulent.

Depuis, à force de surveiller sa ligne, il a beaucoup minci et pourrait facilement reprendre l'entraînement. Il a d'ailleurs confié à des proches son souhait de se remettre au sport pour combattre le stress.

Sa rage de réussir

Trader ou rien. Alors qu'il préparait sa maîtrise d'économie à Nantes, Jérôme Kerviel avait déjà cette obsession : travailler dans une salle des marchés. Faute de pouvoir emprunter la voie royale, mais ultra élitiste, des grandes écoles d'ingénieurs, il a suivi à l'université Lyon-II le DESS management des opérations de marché.

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Rien n'était gagné d'avance : unique en son genre en France, cette formation d'un an, entrecoupée de stages dans les banques, forme des spécialistes dits de «middle et back office», chargés de suivre et de contrôler les positions spéculatives prises par les traders.

Embauché en août 2000 au middle office de la Société générale, Kerviel est le seul de sa promo de 24 étudiants à avoir réussi à passer au trading, cinq ans plus tard. «Gros bosseur, toujours aimable et coopératif avec les traders, il a fait tout ce qu'il fallait pour se faire apprécier», raconte un ancien collègue. Et, lorsqu'un poste d'assistant s'est libéré au «front office», il s'est immédiatement porté candidat.

Son premier bluff
Début juillet 2005, Jérôme Kerviel, trader junior depuis six mois, décide de parier gros à la baisse sur l'assureur allemand Allianz, dont il estime le cours de Bourse surévalué. La semaine suivante, Londres est frappé par des attentats terroristes, qui affectent les grandes sociétés d'assurances. Le malheur des uns... Grâce à ces événements, le compte du jeune spéculateur a rapidement affiché un joli gain : 500 000 euros. Mis en confiance, il a alors multiplié les paris audacieux et terminé l'année avec un résultat positif de 5 millions d'euros.

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Sa cure antitabac à la Santé

Un véritable supplice. Ce gros fumeur (jusqu'à deux paquets par jour) est arrivé à la prison de la Santé, le 8 février dernier, pour y entamer ses trente-sept jours de détention provisoire, sans une cigarette en poche.

Distrait, il avait oublié dans la voiture de son avocate, venue l'accompagner, son pardessus contenant un stock de Marlboro et de l'argent de poche. Faute de pouvoir «cantiner», il a dû attendre plusieurs jours un mandat adressé par son frère Olivier. Placé dans une petite cellule individuelle du «quartier VIP», l'ancien trader a alors pu calmer son stress.

Renonçant aux promenades dans la cour, par hantise des paparazzi, il s'est contenté de lire et de regarder la télévision dans sa cellule. Avec quelques séances de musculation dans la salle de sport.

Son nouveau job à 4 000 euros

L'immeuble ne paie pas de mine et le bureau qu'y occupe Kerviel, au premier étage, est modeste. Rien à voir avec l'arrogante tour Société générale à la Défense. Depuis la mi-avril, l'ancien trader travaille à temps plein dans la petite entreprise de conseil informatique LCA (Lemaire Consultants & Associés), à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). Sept salariés en tout et pour tout, et un patron, Jean-Raymond Lemaire, qui est aussi expert informatique auprès du tribunal de Versailles.

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C'est à ce titre que l'avocate de Jérôme Kerviel l'a appelé, en janvier, pour aider son client à décortiquer ses opérations à la Société générale et les expliquer, en langage compréhensible, aux juges d'instruction. Heurté par l'ambiance de lynchage qui entourait le jeune homme, Lemaire lui a alors fait une promesse d'embauche pour faciliter sa remise en liberté.

Aujourd'hui, l'ancien banquier, qui partage son bureau avec un autre consultant, bénéficie d'un CDI et d'un salaire mensuel de 4000 euros. «Je le trouve intelligent, motivé et obstiné», confie son nouveau boss, qui envisage de lui confier à la rentrée des responsabilités dans la commercialisation de progiciels de gestion.

Sa garde rapprochée... et bénévole
On le dit très déterminé. Jérôme Kerviel prépare activement sa défense, au rythme de trois réunions (fort enfumées) par semaine, entouré de sa garde rapprochée : les avocats Elisabeth Meyer (droit des affaires) et Guillaume Selnet (droit pénal), et le consultant en communication Christophe Reille, expert en cas difficiles (Noël Forgeard, Denis Gautier-Sauvagnac...).

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Ces spécialistes avouent travailler bénévolement, car Kerviel serait bien incapable de les payer. Jamais loin non plus, il y a son frère aîné, Olivier, ancien conseiller en placements dans une filiale de la BNP, qui l'héberge souvent dans son appartement parisien de la rue de Rome.

Son train de vie austère
Avec 48.500 euros de salaire annuel à la Société générale et une prime de 50 000 euros touchée début 2007, Jérôme Kerviel aurait pu mener une vie confortable, même s'il était à des années-lumière des revenus faramineux des stars de la profession. Pourtant, ce bourreau de travail a toujours vécu d'une manière austère : il ne possède pas de voiture, loue un deux-pièces de 50 mètres carrés en soupente à Neuilly-sur-Seine et se nourrit surtout de pizzas et de salades mixtes.
Quant aux vacances, il n'en a pas pris pendant deux ans, de peur que ses collègues ne mettent le nez dans ses comptes...

Olivier Drouin

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